dimanche 12 février 2012

Political Crime and Bureaucratic Monarchy


Philip A. Kuhn,  "Political Crime and Bureaucratic Monarchy: a Chinese Case of 1768"


Texte de Vanie-Ève Aubertin


Philip A. Kuhn est un historien et sinologue américain. Il enseigne l’histoire de la Chine et de l’Asie du Sud-Est à Harvard. Il est considéré comme un pionnier de l’histoire de la Chine tout comme plusieurs de ses élèves. Il s’intéresse surtout à la dynastie des Qing et à la présence chinoise outre-mer. 


Dans son texte, Kuhn tente de faire sortir et définir les principales composantes du système politique impériales de la Chine du 18e siècle. Pour ce faire, il décrit les différentes forces en présence d’abord, de façon théorique et ensuite, par une étude cas. 
Kuhn commence par faire une description très théorique des forces du pouvoir dynastique bureaucratique dans la Chine du 18e siècle. Il parle du pouvoir impérial comme étant l’arbitraire et de la bureaucratie comme la routine. Selon plusieurs auteurs, dont Weber et Rosenberg, les deux sont incompatibles et un finit toujours par outrepasser l’autre. Pour Weber, comme aucune loi formelle n’inclut une procédure administrative qui régit la bureaucratie en Chine, l’arbitraire devient ce qui la régit. Par contre, il conçoit que sur un plan historique, la routine de la bureaucratie a réussi à remplacer l’Arbitraire par la force de la routinisation et la rationalisation. Du point de vue prussien de Rosenberg, au départ, la bureaucratie était l’outil de projection pour influencer la société dans une attitude d’obéissance entrainée par la peur. Par la suite, la loi réduit les opérations du gouvernement à une routine ce qui est considéré par la monarchie comme un sabotage bureaucratique. Le résultat selon lui est donc un état dirigé par des fonctionnaires parmi lesquelles, le monarque n’est qu’un «top-fonctionnaire». 

Kuhn se pose alors la question à savoir si la rationalisation sert à assujettir l’arbitraire (monarque ou empereur) à la routine (bureaucrates). Il énonce ensuite les contradictions qui entourent la bureaucratie monarchique. D’un côté, le monarque tente de conserver son statut de pouvoir et d’autonomie extra bureaucratique afin d’éviter de devenir bureaucratisé lui-même. Toutefois, il le fait en utilisant la bureaucratie elle-même, ce qui lui donne du pouvoir. De l’autre, le bureaucrate est pris dans un carcan de tâches et de hiérarchie qui le protège à la fois de l’arbitraire. 

De ce fait, Kuhn en arrive à émettre une hypothèse en trois points. D’abord, il faut considérer le contexte culturel confucéen pour comprendre le rapport de force. Ensuite, il suggère que les pouvoirs arbitraires sont en fait essentiels au maintien de la routine administrative. Finalement, il tente d’estimer le degré auquel les deux pouvoirs sont en conflit dans la politique chinoise en général. 
Ainsi, alors que le bureaucrate tente de parvenir sur le plan personnel en montant les échelons du système bureaucratique confucéen, l’empereur à pour responsabilité de garder l’attention des bureaucrates sur le but ultime qui est de maintenir le système social existant, la solidité des politiques fiscales et juridiques ainsi et surtout, la bien-être de la cour impériale.
En ce qui concerne l’étude de cas, il s’agit d’une histoire de voleurs d’âme par l’acte de couper la tresse (queue) des victimes. Au départ, les officiels locaux ont très peu de patience pour la peur de la sorcellerie parmi le peuple. Ainsi, ils doutent de l’existence même de ces superstitions, traitent les meurtres de supposés sorciers comme des homicides ordinaires et ne prennent pas la peine d’en avertir la cour impériale, car ils considèrent la situation comme sans grande importance. Or, lorsque les violences perpétrées par les paysans apeurés arrivent aux oreilles de l’empereur, celui-ci saute sur l’occasion pour se taper dans le dos et de taper sur les doigts des bureaucrates en public. L’affaire se transforme en campagne politique pour démontrer l’implication de l’empereur à assurer la protection du peuple contre la sorcellerie. 
L’affaire se transforme en cercle vicieux dans lequel l’empereur met de la pression sur les bureaucrates pour trouver la personne responsable d’ensorceler les coupeurs de tresses. À leur tour les bureaucrates inventent les preuves et torturent les supposés coupables pour qu’il confesse à quelque chose qu’ils n’ont pas fait. Donc, l’empereur est fâché et poursuit sa quête pour ne pas perdre la face. Toutefois, éventuellement un torturé meurt suite aux blessures infligées et l’empereur sait qu’il doit trouver un moyen de mettre fin à sa campagne sans perdre la face. Alors, il accuse les bureaucrates d’avoir été trop lents à amener le cas devant la cour et d’avoir utilisé la torture et ceux-ci furent punis.


Ainsi, l’auteur analyse le cas des coupeurs de tresses. Il suggère que la campagne ait eu un rôle décisif pour «définir et maintenir la relation entre le trône et la bureaucratie». 
Elle influence la façon dont l’empereur considère les évaluations opérées trois fois par année auprès des officiers. Il comprend en effet que si les évaluateurs ne proposent jamais ni une punition ni promotion, c’est que cette tâche représente une très grande responsabilité et est tellement délicate que chacun préfère soumettre un rapport standard et routinier qui est sans conséquence. C’est à ce moment que l’empereur comprend que si les bureaucrates sont laissés à eux-mêmes pour faire une tâche qui sort de l’ordinaire, ils serviront leurs propres intérêts. Aussi, dans le même ordre d’idée, en demandant aux officiers de conduire personnellement l’enquête sur les coupeurs de tresses, ceux-ci se sont sentis mis dans une situation extraordinaire soit, dangereuse pour leur carrière donc, leurs intérêts personnels. 
Ce que l’empereur reproche particulièrement aux officiers c’est de ne pas l’avoir averti du crime politique qui se produisait. En effet, il considère que, qu’importe qui était à l’origine du mouvement, il impliquait une défiance contre la dynastie, car la tresse elle-même est un symbole de la soumission des Han sous les Qing. 


L’auteur conclut en affirmant que la campagne de l’empereur Qianlong contre les voleurs d’âme par la coupe de la tresse serait, en même temps, une campagne contre les bureaucrates. Il soutient que l’argument selon laquelle les bureaucrates ont démontré de l’incompétence ne reconnaissant pas un crime politique serait en fait une arme impériale. Finalement, il suggère que le système confucéen de bureaucratie monarchique fonctionne très mal si les guérillas internes, dont la campagne de Qianlong en est un exemple, sont tout ce qui en assure la stabilité. 



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