samedi 16 mars 2013

« Tourner la roue de la Loi »

Texte de Nezly Esseghir

Li Hongzhi, « Tourner la roue de la Loi », version française de « Zhuan Falun »,
2008  (édition originale 2007),Sixième leçon,pp.72-87

Il n’est pas aisé de donner un aperçu biographique de l’auteur, tant la vie de Li Hongzhi semble baigner dans le mystère et la controverse. L’auteur serait né soit le 13 mai 1951, soit le 7 ou le 27 juillet 1952, dans la ville de Gongzhuling, préfecture de Siping, Province de Jilin, en Chine. À quatre ans, il aurait été formé par le maître QuanJue, héritier de la Grande Loi de l'École de Bouddha, puis à douze ans, par le maître taoïste Zhenren Baji sur les arts martiaux. Un troisième maître, Zhendaozi,lui aurait enseigné en 1972 le chemin de la « cultivationintérieure » à travers le Qigong.Enfin, un quatrième maître, une femme de l’école Bouddhique, aurait complété sa formation en 1974.Sur le plan des informations vérifiées et vérifiables sur l’auteur, comme pour tous les Chinois de sa génération, la scolarité de Li Hongzhia été interrompue abruptement au niveau primaire durant la Révolution Culturelle, puis a terminé ses études secondaires par correspondance dans les années 1980. Il a commencé à synthétiser ce qui allait devenir le Falun Dafa à partir de 1984, a établi sa technique de Qigong en 1989, puis a présenté publiquement le Falun Gong  le 13 mai 1992.
 
« Zhuan Falun » est ce qui s’apparente à la « Bible » de la pratique et de l'enseignement principal le plus exhaustif des « préceptes » de Li Hongzhi. C’est une sorte de compilation révisée d’une série de neuf conférences données par Li,en Chine et ailleurs,entre 1992 et 1994. L’ouvrage a été publié en Chine en 1994, et il se divise en neuf « leçons », chacune d’entre elles aborde des principes précis.La sixième leçon aborde les thèmes touchant aux dévianceset aux pratiques déviantes et comment s’en prémunir.


La première partie de cette « leçon » examine ce qui est perçu par le grand public, les non-instruits, comme « déviation dans un état démoniaque », dans laquellela pratique du Qigong leur semble plonger les gens. Pour l’auteur, ces accusations ne sont que le fruit de l’ignorance des gens ordinaires, les non-instruits du Qigong. Selon lui, cet état démoniaque n’existe pas, et le Qigong n’en provoque pas.  Il dénombre, cependant, cinq catégories de cas où les pratiquants pourraient être vus par les non-instruits comme précipités dans cette déviation par le Qigong:

-    Le pratiquant manquant de droiture de cœur risque d’être atteint par les esprits malins, car ce manque de droiture marque une faiblesse de la conscience principale. C’est la conscience secondaire ou les messages extérieurs à l’individu (les esprits) qui vont prendre le contrôle de l’individu. Cela se traduit par des comportements inquiétants, délirants, choquants, voire déviants
-    Le pratiquant qui n’a pas réussi à se débarrasser de ses attachements ne parvient  pas à élever son être profond (Xinxing) et demeure un être ordinaire. Dans ce cas, le pratiquant de Qigong se voit à risque d’avoir le Qi bloqué quelque part dans le corps, dans le pire des cas, au sommet du crâne, ce qui va provoquer une peur-panique du pratiquant et fait penser aux non-instruits que le Qi bloqué provoque maladie et déviance démoniaque. L’auteur définit comme « attachements » tout ce qui a trait à la peur, à tous les désirs, au désir sexuel, à l’exaltation joyeuse. Pour éviter les risques de déviance, le pratiquant doit se débarrasser de tous ses attachements et œuvrer à élever son être profond,tout à la fois qu’il œuvre à transformer son Gong et à se soigner par la pratique du Qigong.
-    Les personnes atteintes de troubles psychotiques ne veulent plus que leur conscience principale ait le contrôle de leurs corps. La conscience secondaire et les messages extérieurs (esprits) contrôlent le corps du psychotique et le perturbent, provocant des états et des comportements déviants.
-    Certaines personnes sceptiques, par exemple, pour se soigner lorsque la médecine ne peut rien pour eux, s’engagent dans la pratique du Qigong avec de très fortes prédispositions. Ils parviennent alors à une sorte « d’illumination », ce que l’auteur appelle « l’état de Qigong ». Ils voient des réalités d’une autre dimension et atteignent des pouvoirs surnaturels. Ces personnes doivent garder leur découverte de ces nouvelles réalités pour eux : en parler aux non-instruits les fait immanquablement passer pour des déviants.
-    Enfin, les pratiquants qui arrivent à un âge trop avancé à la pratique pour avoir le temps suffisant pour se « purger de leurs fautes »  par la cultivation seront précipités dans la « folie authentique » pour, en quelque sorte, accélérer le processus. « On » les précipite dans cet état à condition qu’ils aient une excellente prédisposition, ce qui est rare. Cette folie ressemble à un exorcisme, une expiation des fautes par la souffrance extrême infligée au candidat à l’élévation. Elle est de durée précise (1 à 3 ans), se traduit par des comportements extrêmes et se termine par la purification de l’individu qui devient « clair » subitement, en atteignant la cultivation et la pratique.
 
L’auteur détaille ensuite les formes d’interférencesprovoquées par les démons (esprits? messages extérieurs?) dans la pratique du Qigong.Il en catégorise cinq

-    La plus grande catégorie, et la plus importante par le discours qui lui est consacré concerne le propre esprit de l’individu. Si l’individu s’autorise à penser, remettre en question, écouter d’autres maîtres que ceux du Falun Gong, d’autres courants de pensée, c’est qu’il est aux prises avec  des attachements et des démons qui vont le détourner de la « vraie » cultivation, l’empêcher d’élever son Xinxing et causer sa perte. Tous les obstacles et toutes les épreuves sont autant d’opportunités pour l’individu de cultiver et de pratiquer.
-    Les interférences dans la méditationse traduisent par les bruits environnants que le pratiquant ne constate, justement, que lorsqu’il recherche la tranquillité pour méditer. Les démons interfèrent pour empêcher le pratiquant d’atteindre  la « Voie » car cela annulerait le remboursement des dettes dues par le pratiquant.
-    Les interférences provoquant la terreur et l’épouvante : le pratiquant à « l’œil céleste ouvert » risque de voir des scènes ou des personnages effrayants et menaçants en pratiquant le  Qigong à la maison ou dans le noir. Ce sont autant de manifestations démoniaques pour empêcher la pratique
-    L’impotence : les pratiquants de la cultivation interne et externe (pratique des arts martiaux et de la cultivation interne), s’ils n’arrivent pas à se débarrasser de leur attachement à la compétition, seront perturbés dans leur sommeil par des démons qui les défient au combat (par les arts martiaux) jusqu’à l’épuisement de leur corps, à en devenir impotents.
-    Les démons de la luxure : le désir et le plaisir sexuel ainsi que la luxure sont des attachements desquels le pratiquant doit se débarrasser, y compris dans ses relations conjugales. Ces démons se présentent dans les rêves sous la forme de personnes désirables et dénudées, qui provoquent l’émoi en l’individu qui, s’il ne se contrôle pas, perdra le Qi par « l’écoulement  de la semence » et, à force, perdra de l’élévation et retombera dans la catégorie des « individus ordinaires ». Même s’il ne préconise pas l’abstinence totale, le Falun Gong préconise de prendre la question du désir avec légèreté, de savoir le chasser lorsqu’il se présente et de se consacrer à la cultivation.
 
Après ces explications, l’auteur met l’accent sur deux points complémentaires et essentiels au bon déroulement de la cultivation et de la pratique du Qigong : la conscience principale forte et l’absolue nécessité de la droiture de l’esprit. Le premier est indispensable au pratiquant pour parvenir à se débarrasser de ses attachements, à repousser les interférences et à résister aux interventions des autres courants de pensée. Le second s’apparente fortement à une sorte de « serment de loyauté » envers les préceptes du Falun Gong, le Zhuan Falun et les Corps de Loi enseignés par Li. Lire tout autre livre, écouter tout autre courant de pensée, même bouddhique ou de Qigong, met le pratiquant à risque d’être induit en erreur et le mènerait à sa ruine.
 
L’auteur termine cette leçon par deux mises en garde : la première concernant la multiplication des Qigong et la seconde contre le désir de se faire valoir. Selon Li, le seul autre Qigong véritable qui existe est celui des Arts martiaux. Cependant, il est de moindre valeur. Les pouvoirs auxquels les pratiquants parviennentà travers les arts martiaux, quand ils y parviennent, sont de valeur et de puissance moins élevées que ceux auxquels ils parviennent par la cultivation interne. Il préconise donc de se consacrer à la cultivation interne prioritairement. Dans tous les cas, le désir de se faire valoir à travers les pouvoirs et l’élévation atteints est un attachement délétère et provoquera immanquablement la chute du pratiquant.        
 
Ce qui transparaît à travers cette leçon d’enseignement du Falun Gong, c’est la manière dont Li érige son emprise sur ses « élèves ». Il martèle des préceptes redondants et tend la carotte en même temps qu’il tire les rênes, tout en slalomant à travers les contradictions: les pratiquants de la cultivation ont l’espoir de s’élever un jour au-dessus des « individus ordinaires » et d’accéder aux pouvoirs surnaturels, mais ne doivent jamais se croire extraordinaires ni croire avoir atteint le plus haut niveau de Gong. Il se prémunit contre toute forme de remise en question de ses préceptes, de « mutinerie » au sein de son « école » ou de démonstration d’une plus grande puissance par l’un de ses disciples.
 
Bref, il érige « son » Falun Gong en doctrine, et sa personne, en guide suprême. Et c’est peut-être là que son divorce des autorités étatiques chinoises a été consommé : elles y ont peut-être vu la porte ouverte à la remise en question de leur propre doctrine et à la contestation de leur propre pouvoir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire